Certainement pas un rêve confortable d’un avenir radieux !
Ce ne peut être non plus lier à un désir de vraiment changer le monde, même s’il est difficile aussi d’en faire sans ce désir. Ce serait juste nier que l’impact du théâtre est minime.
Nous y cherchons quoi, une quête mystique, une marginalisation. Un bien être malgré tout.
Le théâtre, c’est une rencontre très particulière entre des intimités, celles d’un texte, éventuellement d’un auteur présent, d’un metteur en scène, de comédiens, d’une équipe, des spectateurs. A la fois pudique et impudique. Dans et hors.
Ces questions, même s’il est difficile d’y répondre, sont indispensables pour notre travail. Les bribes de réponses énoncées, pour soi ou non, nous permettent de comprendre véritablement nos démarches. Je ne crois pas qu’il soit possible de faire du théâtre sans se les poser, sans réfléchir à la place du théâtre dans la société, dans la vie, dans notre vie, et donc notre place dans le théâtre, ou du moins celle que nous voudrions. Cette place, ce n’est pas un rêve de gloriole. Nous sommes là pour transmettre. Nous ne savons pas toujours exactement ce que nous voulons transmettre, ou ce que nous transmettons vraiment, il s’agit de chercher lentement à le définir le plus précisément possible. Nous pouvons là parler d’une quête. Pourquoi pas. Mais là encore, je ne suis pas satisfait. Il est probable aussi que nous fassions du théâtre par insatisfaction, d’une part du monde ou d’un rapport au monde, et d’autre part du théâtre lui-même. Je ne suis pas satisfait par le théâtre. Je peux le trouver désuet, ne répondant pas aux demandes d’une société, d’un média. Je peux le trouver lent, lourd, pédant, renfermé sur lui-même. Je peux rêver de l’ouvrir, de l’éclater.
Lorsque j’écris du théâtre, je trouve ce travail impossible, sans intérêt. A quoi ça peut bien servir en ce moment d’écrire du théâtre. Je ne peux pas dire que cette écriture là me satisfasse. Et pourtant. Écrire du théâtre m’apporte un plaisir indescriptible. Rencontrer des comédiens, les entendre, les voir, les regarder, les imaginer, c’est un souffle étranger qui m’est nécessaire, même lorsque je n’écris pas de théâtre.
Mais ce n’est pas une raison suffisante pour faire du théâtre, non ? Cela semble un peu égoïste comme ça. Inutile.
Le sentiment le plus fort, que je ressens comme le plus fort, c’est cette inutilité. Pas seulement parce qu’il y a finalement peu de gens à venir au théâtre, à être curieux d’entendre des textes nouveaux. Non. Je n’ai pas l’envie ni la prétention d’écrire pour tous. Cette inutilité vient peut-être de l’impression d’être noyé dans la masse. On se regarde par rapport aux autres, et on se voit petit. A peine exportable hors des frontières d’une ville, d’un département ou d’une région dans le meilleur des cas. J’ai rencontré des metteurs en scène dans de nombreuses villes, qui font un travail important, intéressant, mais qui n’ont pas la possibilité de sortir de leur ville. Faute d’argent, de reconnaissance ? De quoi ? Tout cela n’est pas clair. D’où ce sentiment d’inutilité. Je pourrais même culpabiliser de prétendre à ça, écrire du théâtre, mettre en scène. Et ce que j’entends autour de moi, qui m’est ou non adressé, va dans ce sens, il y a vraiment une parole qui nous culpabilise : qui sommes-nous pour prétendre faire ce métier ?
Certes nous n’avons pas à attendre qu’on nous l’autorise. Le théâtre ça se prend. Et il faut de l’énergie, du courage, de la patience et de la persévérance pour trouver ne serait-ce qu’une petite place.
Pour ma part, je ne suis pas à plaindre, j’ai souvent travailler avec les gens que je voulais, et plus les années passent plus ça se précise. Il y a juste en permanence au dessus de la tête ce sentiment d’inutilité. Là permanent. Une menace. Le ciel va-t-il me tomber sur la tête ?
De plus, écrire du théâtre, c’est la pire place, je parle là en tant que place sociale, économique, c’est la pire des places dans le théâtre, parce que concrètement il n’y a pas de place pour les écrivains. Quand la possibilité d’en trouver une se profile, je n’arrive pas complètement à la saisir. Elle est incompréhensible, inouïe.
Il n’y a pas de place pour tous. On nous le répète, sans doute est-ce vrai, et encore. Mais quand on regarde ce qui se passe de près, que remarque-t-on ? Ce n’est pas qu’il n’y ait pas de place pour tous le véritable problème, c’est qu’il n’existe pas d’espaces pour mettre en jeu ces places. Pour cela il faudrait qu’il y ait autorité en la matière. Pas une autorité paternaliste comme c’est souvent le cas, mais de véritables regards sur le travail, sur l’esthétique. Nous avons besoin d’une critique. A partir de ça, il y a une « sélection » possible, un dialogue est mis en place avec les artistes sur leur travail et non plus sur leur production, sur les à-côtés du travail. La crise actuelle, je la ressens aussi par l’absence de parole sur ce qu’est réellement le travail. On ne vous demande pas ce que vous faites mais combien cela va coûter. Il n’y a pas de « sélection » possible, les paroles ne sont pas clairs, tout le monde cherche le meilleur soutien pour rentrer dans le système, etc. Je crois qu’il ne s’agit pas de rentrer dans un système ou un autre. Juste, si on a le talent pour continuer, avoir les moyens de vivre décemment de ces métiers.